Vous souvenez-vous des débuts de Facebook ? Quand on postait des statuts maladroits et qu’on se pokait à gogo (doucement sur les pokes) ? Ou encore des premiers filtres rétro d’Instagram, quand tout n’était que photos de brunchs et couchers de soleil ? En 20 ans, les plateformes ont bien évolué. Alors que l’on voit fleurir le concept de « late stage social media » dans la presse anglo-saxonne, il est tout naturel de se demander : est-ce que ce ne serait pas le début de la fin des réseaux sociaux ? On fait le point.
Réseaux sociaux : ces signes qui témoignent de la fin d’une ère
Réseaux sociaux : l’âge d’or est déjà derrière nous
Loin de la magie des débuts
On ne voudrait surtout pas paraphraser votre oncle boomer qui répète à tout va que « c’était mieux avant »…. Mais pour les réseaux sociaux, c’est quand même un peu vrai. On est loin de l’euphorie des débuts, quand les réseaux sociaux étaient encore des terrains d’expérimentation, des espaces où la créativité et les connexions personnelles dominaient. MySpace permettait de personnaliser son profil et nous initiait au personal branding, Facebook facilitait la connexion entre amis et famille, sans l’ombre d’une publicité. C’était clairement une autre époque.
Aujourd’hui, le paysage a totalement changé. Le but des plateformes n’est plus de connecter des personnes, mais bien de maximiser le temps passé à scroller. Les formats courts, popularisés par TikTok et copiés en masse par Instagram, YouTube et même LinkedIn, pullulent pour tenter de capter quelques secondes d’attention. On regarde, on swipe, et on oublie. Mais pour encore combien de temps ?
Le « late stage social media », c’est quoi ?
Ce terme se calque sur le concept du « late stage capitalism ». Il évoque donc la phase où un système montre ses excès et contradictions. Les réseaux sociaux, qui étaient au départ un espace de connexion, de partage et d’émerveillement seraient désormais tombés dans leurs propres travers, devenant un écosystème dominé par la monétisation, au détriment de la créativité et des interactions authentiques.
Concrètement, en ouvrant Instagram il y a 10 ans, vous seriez tombé sur les photos de votre frère en vacances ou du latte art de votre collègue de bureau.
Aujourd’hui, l’algorithme va présenter le contenu qu’il juge le plus susceptible de retenir votre attention, en fonction de vos intérêts personnels. C’est bel et bien la fin des flux de contenus basés sur les relations sociales.
Vers une standardisation des contenus
Surfer sur les tendances pour ne pas couler
Le phénomène de standardisation des contenus se fait de plus en plus sentir, alors que les algorithmes favorisent des formats et des esthétiques virales. Dans cette quête frénétique pour capter l’attention des utilisateurs, de nombreuses marques tentent de s’insérer dans les tendances culturelles éphémères, souvent au détriment de leur identité propre. Tordre son ADN et sacrifier sa ligne éditoriale pour surfer sur la dernière vague virale peut sembler tentant à court terme, mais cette stratégie finit forcément par affaiblir la marque, diluant sa singularité et réduisant son impact à long terme.
Prenons l’exemple de la tendance « very mindful, very demure ». Cette trend Tik-Tok a été massivement reprise au cours de l’année 2024, tant par des créateurs de contenus que par des marques en quête de visibilité. Résultat ? Un contenu souvent déconnecté de la réalité de ces marques, qui, au lieu de renforcer leur image, peut paraître au mieux artificiel, au pire opportuniste. Et très peu différenciante.
And you see this is the problem pic.twitter.com/uwItqnT7eG
— michaela okland (@MichaelaOkla) August 20, 2024
Tout miser sur l’humour
Autre stratégie très commune et révélatrice du « late stage social media » : miser sur l’humour. Si on est tout d’accord pour dire que certaines marques réussissent très bien à fédérer en faisant rire (on vous a parlé récemment des meilleurs coups de com de 2024), le recours systématique à des mèmes ou à des blagues pour exister perd progressivement de son originalité et donc de son effet sur les utilisateurs. La question est donc : une marque doit-elle forcément être drôle pour avoir de l’impact sur les réseaux en 2024 ?
Réponse : non. Miser sur les tendances et miser sur l’humour ne saurait être une stratégie gagnante si elle consiste à distordre l’identité de la marque pour la faire coller à un phénomène viral. Non seulement il y aura une absence de lien authentique avec le consommateur, mais en plus ces tentatives finissent par être perçues comme déconnectées de la réalité de la marque.
Prenons l’exemple de Burberry. Après plusieurs années dans un certain flou quant à sa proposition de valeur sur les réseaux, la marque a opéré un gros rebranding (d’autres exemples ici), choisissant de revenir à ses racines, en misant sur son patrimoine britannique. Sa campagne 2024 « It’s Always Burberry Weather » est centrée sur l’outdoor et le style de vie britannique, soit un recentrage total sur l’ADN de la marque. Ce changement de proposition de valeur et ce retour à l’essentiel a immédiatement suscité un engagement très fort sur l’ensemble des plateformes sociales. C’est bien joué. En même temps, on aime tous Olivia Colman.
@burberry Tea with Olivia Colman #ItsAlwaysBurberryWeather♬ original sound – Burberry
La chute des géants
Un autre signe que nous sommes dans « la phase tardive des réseaux sociaux », c’est l’incapacité des grands acteurs à se réinventer. Twitter, devenu X sous la houlette d’Elon Musk, a vu son nombre d’utilisateurs chuter drastiquement, sans parvenir à pérenniser son modèle. Malgré toutes les promesses de renouvellement, Meta s’est également embourbé dans son projet de Metaverse, perdant des milliards au passage pour un concept que les utilisateurs ne semblent pas vouloir adopter.
Pour tenter de survivre, les géants se copient mutuellement leurs meilleures recettes. Stories, vidéos courtes, « Insta Threads », autant de fonctionnalités interchangeables qui rendent chaque plateforme indifférenciée. Résultat ? Un appauvrissement de l’expérience utilisateur, des contenus de plus en plus standardisés et une érosion de la diversité créative. Chouette.
Tous blasés ?
Le « late stage social media » a également un coût pour les utilisateurs. La surabondance de contenus, les sollicitations incessantes et les notifications permanentes mènent à un épuisement mental qui porte désormais un nom : « la digital fatigue ». Peut-être souffrez-vous même du fameux « doomscrolling », cette habitude de faire défiler compulsivement son fil d’actualité en quête de contenu nouveau, et peut-être vous a-t-on bombardé d’informations sur les bienfaits de la « dopamine detox », un concept qui fait rage auprès de la gen-Z, épuisée par des années de stimulation digitale excessive.
Ce malaise général révèle une prise de conscience : l’attention, devenue une ressource précieuse, vaut désormais de l’or. Les utilisateurs se lassent des contenus standardisés et cherchent des expériences plus profondes et authentiques.
Vers une fragmentation des plateformes
Dernier signal de l’entrée dans une nouvelle ère : on assiste à une fragmentation des usages et des audiences. Face à la saturation publicitaire et à la standardisation des contenus, de plus en plus d’utilisateurs se détournent des grandes plateformes pour rejoindre des espaces plus confidentiels et personnalisés. Discord et Mastodon, par exemple, connaissent une popularité croissante en proposant des environnements basés sur des micro-communautés.
Dans ces espaces, l’utilisateur ne se sent plus réduit à une donnée monétisable, mais retrouve une certaine liberté d’expression, avec un contenu plus adapté à ses intérêts spécifiques. L’attrait pour ces plateformes souligne un changement de paradigme dans la manière dont les utilisateurs souhaitent interagir en ligne : moins de superficialité, plus de connexion humaine.
Le « late stage social media » annonce la fin d’un cycle : sclérosées par la monétisation à outrance, le manque de diversité de contenus et l’homogénéisation des expériences utilisateurs, les plateformes historiques doivent impérativement se réinventer. Nous, on est prêts à parier une bille que les marques qui réussiront dans cette nouvelle ère seront celles qui comprendront que le viral ne suffit plus, et qui sauront remettre de la valeur dans leur proposition de contenu. Sortez les pop-corn. On a très hâte de voir.