Si vous avez grandi dans les années 90-2000, vous avez certainement gardé en mémoire l’improbable campagne TV Orangina Rouge de 1997 et de son jus sanglant, les vaches volantes de Red Bull ou encore les bébés sur rollers d’Evian. Près de 30 ans plus tard (désolé pour le coup de vieux), le bizarre revient sur le devant de la scène marketing. Pourquoi ce come-back? Est-ce que ça marche ? Décryptage.
Weird marketing : c’est bizarre et ça marche

C’est quoi, le weird marketing ?
Est-ce bien sérieux ?
En anglais, « weird », c’est l’étrange, le bizarre. Le weird marketing, c’est donc l’art de surprendre avec du décalé, voire de l’absurde, mais toujours avec une intention précise. L’idée est de déclencher une émotion forte, souvent négative telle que la peur, le malaise ou le dégoût, pour servir un message de marque.
Bref : là où une pub classique essaie de plaire et de rassurer, le weird marketing joue la carte de la provocation et de la rupture. La collaboration Crocs et KFC en est l’exemple parfait. Personne n’a jamais demandé des sabots qui sentent le poulet frit (à notre connaissance), mais la campagne a cartonné.

Le cerveau adore être déstabilisé
Le succès de ce type de campagne s’explique par un phénomène psychologique puissant : le Von Restorff Effect, ou effet d’isolement. C’est simple : plus un élément est distinct et inattendu par rapport à son environnement, plus il est mémorisé. Par exemple, dans un monde où on nous bombarde de pubs de fast-food avec des burgers parfaitement alléchants, le Whopper moisi de Burger King fait forcément mouche. Derrière le choc initial, apparaît un message de fond fort : “pas de conservateurs artificiels”. L’avantage est double : la campagne marque les esprits et fait passer un message produit différenciant.

Pourquoi ça revient en force ?
Cerveaux en manque d’espace disponible
Les marques doivent rivaliser d’ingéniosité pour se démarquer. Et pour cause : le neuroscientifique Daniel Levitin estime que l’on ingurgite environ 74 Go de données par jour (soit 16 films en HD) via nos écrans, panneaux publicitaires et autres flux numériques. Flippant ? Ce n’est pas tout. Ce chiffre augmenterait de 5 % par an, ce qui laisse finalement très peu de place aux contenus pour se démarquer.
Dans ce contexte, 90 % des campagnes sont oubliées presque immédiatement, tout simplement parce que nos cerveaux ne les jugent pas dignes d’intérêt. C’est là tout d’intérêt de miser sur le « weird » : tenter de frapper fort pour s’immiscer dans les précieux 10 % de contenus mémorisés.
Et si, finalement, le bizarre était l’antidote à l’oubli ?
Des codes générationnels en mutation
Autre raison du succès du marketing de l’absurde : il colle parfaitement aux codes des nouvelles générations. La Gen Z est naturellement plus ouverte au décalé et à l’humour absurde que les générations précédentes (encore un coup de vieux), fortement imprégnée des codes de la culture « web ».
L’application Duolingo l’a bien compris. Leur mascotte hibou vert est devenue une véritable star des réseaux sociaux en multipliant les apparitions déjantées : twerks improbables, arrestations simulées par la police ou trolling massif de ses utilisateurs (qui en redemandent).
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La marque n’a pas froid aux yeux et a même annoncé la mort de sa mascotte, déclenchant une vague de réactions en ligne et une couverture médiatique internationale. Une opération aussi absurde qu’efficace, prouvant une fois de plus que Duolingo maîtrise l’art du buzz certainement mieux que certains ne maîtrisent leur espagnol sur l’appli.
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L’absurde s’invite jusque dans les codes du luxe, en témoigne Loewe avec sa dernière campagne printemps-été 2025. Des culturistes qui posent à côté d’une courge géante, un chevalier en armure qui affiche fièrement son petit sac en cuir… Tout semble sorti d’un mauvais rêve. Et pourtant, la stratégie est parfaitement maîtrisée. Jonathan Anderson, directeur artistique de la maison, connaît son audience sur le bout des doigts : des clients jeunes et férus de culture pop, pour qui le mélange d’absurde et d’art est un territoire familier.

Est-ce que ça marche ?
Quels effets ?
Pour mesurer les bénéfices de ce type de campagne, il faut prendre un peu de recul sur les chiffres de vente. C’est davantage du côté de l’impact culturel et de la construction de l’image de marque qu’il faut aller jeter un œil, et notamment :
- L’engagement : le contenu retient-il l’attention de l’audience (le fameux « watchtime ») ? Combien de temps les gens en parlent ?
- La diversité des réactions : quels sont les différents ressentis provoqués par la campagne ?
- La couverture média : la campagne est-elle reprise dans la presse ?
Weird et cheap : le combo gagnant
Le weird marketing a un gros avantage stratégique : il peut coûter peu et rapporter gros. Pas besoin de superproductions à plusieurs millions d’euros si l’idée est assez forte pour se propager d’elle-même. Prenons l’exemple de Currys, une chaîne britannique d’électronique (un peu notre équivalent de Darty).
Leur stratégie ? Reprendre des débuts de vidéos virales — comme une chute ou une situation absurde — et y intégrer du contenu maison, lié à leurs produits ou services. Ce type de campagne est rapide à produire, peu coûteuse et à forte portée virale : un bon montage et une touche d’humour suffisent à captiver l’audience. Résultat ? Des millions de vues organiques et un engagement bien supérieur à celui de pubs classiques.
Currys est loin d’être un cas isolé : de plus en plus de marques reprennent des trends Tik-Tok ou des formats mèmes pour maximiser leur impact à moindres frais. C’est souvent brut, spontané et non-polissé — c’est bizarre et ça marche.
@currys Find your nearest Currys store – link in bio #christmas#christmasgift#currys#trend#fyp#karate♬ original sound – Currys
Un bénéfice-risque mesuré
Les risques du weird marketing ne doivent pas être sous-estimés. Jouer la carte de la provocation ou de l’absurde peut rapidement mal tourner : une blague mal interprétée, une référence ambiguë ou un message perçu comme opportuniste, et le bad buzz n’est jamais bien loin. La clé ? Trouver l’équilibre. Trop d’audace, et la réputation peut en prendre un coup, trop de prudence, et le message risque de passer inaperçu.
D’un point de vue pragmatique, les risques restent souvent limités. Nutter Butter en est bien la preuve. La marque de biscuits américaine ose flirter avec les limites du politiquement correct, assumant pleinement une tonalité borderline qui détonne de la concurrence. Résultat ? Les critiques fusent, mais elles sont rapidement noyées sous un flot bien plus important de partages et de réactions variées.
C’est là tout l’intérêt du weird marketing : même si une campagne dérange, l’attention qu’elle génère peut largement compenser les risques.
@officialnutterbuttercome play,♬ original sound – nutter butter
On espère que vous vous remettrez de cet exemple de Nutter Butter. C’était parlant, vous comprenez.
C’est déjà la fin d’article, mais ne vous inquiétez pas, vous n’en avez pas fini avec le weird marketing. Il viendra vous trouver quand vous vous y attendrez le moins. Vous penserez à nous.
Puis allez tenez, c’est cadeau :